L’autorisation du père est indispensable pour l’obtention de tout type de document, y compris la carte d’identité nationale. Après six ans de souffrance, une femme divorcée et maman de deux filles a décidé de partager son vécu dans le cadre de la campagne nationale «#BghathaLwa9t». Avec un discours très émouvant et surtout réaliste, elle traduit les espoirs de plusieurs femmes de voir certaines lois du Code de la famille changées et améliorées. Une pétition a été lancée pour accélérer le changement.
C’est le cri du cœur d’une femme divorcée qui ne supporte plus d’être obligée d’avoir l’autorisation de son ex-mari pour obtenir tout type de document administratif pour ses trois filles. «Cela fait six ans que j’essaye de composer avec cette situation. Je dois appeler mon ex-mari et attendre son autorisation pour avoir des documents comme l’acte de naissance et le passeport, sachant que c’est moi qui veille sur l’éducation et la transmission des valeurs à mes trois filles», raconte-t-elle dans une vidéo qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux dans le cadre de la campagne nationale #BghathaLwa9t. Une campagne qui vise à sensibiliser à la nécessité de réformer le Code de la famille et le Code pénal pour mettre fin aux discriminations envers les femmes.
Mais la goutte qui a fait déborder le vase pour Mounia, c’est le jour où elle a accompagné sa fille pour déposer la demande de la carte d’identité nationale (CIN) et qu’on leur a demandé l’autorisation ou la présence du père. Ceci a poussé Mounia à recourir au tribunal et à suivre toute une procédure en vue de prouver son refus et permettre ainsi à sa fille de déposer sa demande de CIN. «Je ne comprends pas pourquoi ce détour, sachant que la carte d’identité est un droit constitutionnel et pourquoi toute cette discrimination envers la maman », s’interroge Mounia avec beaucoup de regret. Et d’ajouter : «pour le passeport, je peux comprendre, mais pour la CIN, je ne vois vraiment pas l’importance de l’intervention du père». Pour mieux faire entendre sa voix dans l’espoir de faire bouger les choses, Mounia a lancé une pétition pour rappeler le droit des mamans divorcées à préparer les papiers administratifs de leurs enfants sans l’obligation de recourir à une autorisation du père.
Après la campagne #BghathaLwa9t, un plaidoyer est en préparation
Le cas de Mounia n’est pas le premier et ne sera certainement pas le dernier, tant que la Moudawana n’a pas changé. Si le droit de la garde est d’abord accordé à la femme, celui de tutelle est octroyé, en priorité et de façon automatique, au père. Ceci est prévu par l’article 230 de la Moudawana. Ainsi, afin de demander un passeport pour son enfant, lui ouvrir un compte bancaire… l’accord du père demeure indispensable. Il s’agit là d’une grande injustice que la plupart des femmes n’acceptent plus. En témoigne Karima Rochdi, journaliste et membre du bureau du Collectif 490 qui était à l’origine de la campagne «#BghathaLwa9t». «Cette campagne a atteint son objectif puisqu’on reçoit aujourd’hui des témoignages réels de femmes qui sont confrontées à des articles de lois injustes», souligne-t-elle dans une déclaration accordée au quotidien «Le Matin». Et d’ajouter que ces lois constituent des obstacles, aussi bien pour les mamans que pour les enfants. Karima Rochdi nous informe aussi qu’un plaidoyer est prévu dans une future étape auprès des institutions, du Parlement et des partis politiques pour que ces lois changent le plus tôt possible.
La réforme du Code de la famille encore et toujours
Joint par «Le Matin», Younes Naoumi, avocat au barreau de Casablanca, estime que l’amendement du Code de la famille s’impose aujourd’hui comme un impératif. Pour lui, des articles relatifs à la tutelle constituent un obstacle que ce soit pour l’enfant ou pour la maman divorcée. Pour l’expert, il est aujourd’hui inconcevable que la mère, qui assure l’éducation de l’enfant au quotidien, n’ait pas le droit de prendre des décisions sur le plan administratif pour son enfant. «Certes, le tribunal intervient en cas de refus ou d’absence du père, mais pas avec la même rapidité et efficacité que si la femme avait son droit à la décision surtout pour des cas qui ne sont pas forcément stratégiques comme l’octroi de la CIN», note-t-il. Maître Naoumi estime aussi qu’il est temps de revoir toutes les dispositions de la «Moudawana» tout en prenant en considération l’évolution des choses dans le contexte marocain. Les militants associatifs appellent davantage au changement, surtout après le Discours Royal de la Fête du Trône qui a ouvert la voie à une révision du Code de la famille.
Divorce : l’intérêt de l’enfant doit primer
Considéré comme une voie de sortie pour les problèmes conjugaux, le divorce des parents fait de la vie des enfants un chemin semé d’embûches, surtout quand le cadre législatif peut les priver de plusieurs droits. De l’avis de Leïla Naïm, docteure en psychologie du comportement et coach, le volet psychologique doit être pris en considération, aussi bien par les parents que par les décideurs. «L’idéal serait que les parents puissent agir ensemble pour l’intérêt de l’enfant ou, le cas échéant, ne pas l’intégrer dans leurs conflits», note l’experte. Celle-ci regrette le fait qu’au Maroc, on ne cherche pas à réussir la période du divorce et c’est ce qui pourrait avoir des impacts très sérieux sur l’enfant. Des impacts qui vont l’accompagner durant toute sa vie, modifiant sa vision des choses, ses décisions et son comportement. Autant dire qu’il y a beaucoup de dimensions qui doivent être prises en considération pour la mise en place de la nouvelle réforme de la Moudawana, d’où l’intérêt de l’implication de toutes les composantes de la société.
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