Le Maroc poursuit, depuis plusieurs années, une stratégie ambitieuse visant à renforcer ses relations diplomatiques, économiques, et culturelles avec les Amériques centrale et du Sud. Cette région, bien que géographiquement éloignée, revêt une importance stratégique pour le Royaume. Le récent statut de “partenaire avancé” obtenu par le Parlement marocain auprès du Forum des présidents des Parlements d’Amérique centrale, des Caraïbes et du Mexique (FOPREL) en novembre 2024 témoigne de la dynamique de rapprochement entreprise par Rabat. Ce statut marque une étape supplémentaire dans la reconnaissance des efforts diplomatiques marocains, consolidant ainsi son positionnement sur une scène internationale en constante mutation.
Depuis 2014, le Parlement marocain détenait le statut d’observateur auprès du FOPREL, mais cette promotion reflète l’engagement accru du Maroc dans la région. Ce forum réunit des pays comme le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Panama, la République dominicaine et d’autres États stratégiques qui, pour la plupart, reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara ou soutiennent le plan d’autonomie proposé par Rabat. Cette avancée s’inscrit dans une continuité, notamment après l’octroi du statut de “partenaire avancé” par le Parlement d’Amérique centrale (Parlacen) en février 2022.
Engagement institutionnel et partenariats concrets
L’Amérique centrale et l’Amérique du Sud représentent des zones stratégiques pour le Maroc sur plusieurs plans. “En termes diplomatiques, ces régions offrent un soutien crucial dans le dossier du Sahara. Parmi les membres du Parlacen, seule une minorité, comme le Nicaragua, ne soutient pas la position marocaine”, indique à Hespress FR, le secrétaire général du Centre marocain de recherche pour la globalisation “NejMaroc”, Yassine El Yattioui.
Ce soutien explicite ou tacite, poursuit l’analyste, “traduit une reconnaissance croissante de la pertinence de la solution d’autonomie proposée par le Maroc”. De plus, “ces alliances permettent au Royaume de contrebalancer l’influence de l’Algérie, son rival régional, dans la région”, estime le SG de NejMaroc.
La diplomatie marocaine s’appuie sur une approche pragmatique qui met en avant la coopération Sud-Sud, principe fondamental de la politique étrangère de Mohammed VI. Ce modèle se distingue, selon El Yattioui, “par un mélange d’engagement institutionnel et de partenariats concrets qui mettent en valeur les atouts économiques, culturels et stratégiques du Maroc”.
Des relations économiques renforcées
Les dimensions économiques de ces relations ne sont pas moins importantes. “Le commerce bilatéral entre le Maroc et des pays comme le Brésil, le Mexique ou encore le Chili connaît une progression constante”, affirme l’analyste.
Le Brésil, en particulier, “est un partenaire clé, représentant le premier partenaire commercial du Maroc en Amérique latine. En 2023, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint plus de 3 milliards de dollars, notamment grâce aux exportations marocaines de phosphates et de produits agroalimentaires. Le Brésil, en retour, fournit au Maroc des produits agricoles, notamment du sucre, du soja et de la viande. Ces échanges reflètent une complémentarité économique qui mérite d’être renforcée par des accords de libre-échange ou des partenariats industriels”, dit El Yattioui.
L’Amérique du Sud, quant à elle, “constitue un marché prometteur pour le Maroc, notamment dans les domaines des énergies renouvelables, des technologies agricoles et des infrastructures. Le Royaume, fort de son expertise en matière d’énergies propres, pourrait jouer un rôle important dans les initiatives environnementales de la région. Les investissements marocains dans les entreprises locales, couplés aux exportations de savoir-faire dans les domaines de l’irrigation et des infrastructures, permettent de renforcer les liens économiques tout en répondant aux besoins des pays partenaires. Ces projets s’intègrent dans une vision globale où le Maroc s’érige en modèle de coopération Sud-Sud, offrant des solutions adaptées et durables”.
Un rôle actif des acteurs économiques marocains
L’efficacité de cette diplomatie repose en grande partie sur le rôle actif des acteurs économiques marocains. “Des entreprises comme l’OCP, leader mondial des phosphates, ou encore des groupes comme Managem dans les secteurs miniers, participent à l’implantation économique du Maroc dans la région”, explique le SG de NejMaroc. Ces entreprises, en investissant dans des projets locaux, “renforcent la crédibilité du Royaume en tant que partenaire fiable. Parallèlement, les banques marocaines telles qu’Attijariwafa Bank explorent les marchés latino-américains, facilitant ainsi les flux financiers et encourageant les investissements bilatéraux”, ajoute l’analyste.
Dimension culturelle et universitaire
La dimension culturelle et universitaire occupe également une place centrale dans cette dynamique. “Des figures comme le Dr Mohamed Badine El Yattioui, ancien professeur à l’Universidad de las Américas Puebla (UDLAP) au Mexique, illustrent parfaitement le rôle des universitaires dans la promotion du Maroc. Pendant son séjour académique en Amérique latine, il a œuvré pour faire connaître le rayonnement culturel, historique et géopolitique du Maroc, en établissant des ponts entre les deux régions. La regrettée Claudia Barona Castañeda, universitaire reconnue, a également joué un rôle crucial dans le rapprochement universitaire et culturel entre le Maroc et l’Amérique latine. Ces efforts contribuent à diffuser une meilleure compréhension des enjeux marocains, tout en promouvant un dialogue interculturel enrichissant”, note le SG de NejMaroc.
L’investissement dans les relations culturelles “se traduit également par une multiplication des initiatives visant à renforcer les liens humains entre le Maroc et l’Amérique latine”, soutient l’analyste. “La promotion des échanges académiques, avec des programmes de bourses et des collaborations entre universités, est un levier essentiel pour consolider ces relations. Ces initiatives permettent aux jeunes générations des deux régions de mieux se comprendre, créant ainsi un socle solide pour des relations durables”.
Liens religieux et spirituels
En outre, les liens religieux et spirituels entre le Maroc et l’Amérique latine commencent à émerger comme une autre facette de cette coopération multidimensionnelle. “Le Maroc, en tant que pôle de l’islam modéré, peut jouer un rôle de facilitateur dans les dialogues interreligieux dans une région où la diversité culturelle et religieuse est en constante évolution. Cette dimension spirituelle ajoute une profondeur supplémentaire aux relations bilatérales, en renforçant l’image du Maroc comme un acteur global promoteur de paix et de tolérance”, fait observer El Yattioui.
Cependant, pour maximiser les bénéfices de ces avancées, il est essentiel de consolider les relations avec des pays stratégiques comme le Brésil. “Avec ses 214 millions d’habitants et son économie diversifiée, le Brésil est une puissance incontournable en Amérique du Sud. Le renforcement des relations entre Rabat et Brasilia pourrait se traduire par des accords commerciaux élargis, une coopération technologique accrue et des partenariats dans des secteurs stratégiques tels que l’agro-industrie, les énergies renouvelables et les infrastructures. Par ailleurs, le Maroc pourrait bénéficier de l’expertise brésilienne en matière de développement rural et d’inclusion sociale, des domaines où le pays sud-américain a accumulé une expérience notable”.
Et de faire remarquer que “la stratégie marocaine en Amérique latine et centrale est également soutenue par une diplomatie agile et proactive. Les ambassadeurs marocains dans la région, ainsi que les équipes diplomatiques, multiplient les initiatives pour promouvoir les intérêts du Royaume”. Ces efforts incluent des forums économiques, des rencontres culturelles et des missions de prospection visant à attirer des investissements étrangers. Cette diplomatie de proximité est un atout majeur dans une région où les relations interpersonnelles jouent un rôle crucial dans la construction de partenariats solides.
Et l’analyste de conclure que “la percée du Maroc en Amérique latine et centrale illustre une vision stratégique globale. Elle reflète la volonté du Royaume de diversifier ses partenariats, en s’éloignant d’une dépendance excessive envers les partenaires européens traditionnels”.
hespress