À l’approche du premier tour des élections législatives françaises, de plus en plus de Franco-marocains expriment clairement leurs intentions de vote, en particulier sur les réseaux sociaux, reflétant une appétence pour la politique française et une diversité d’opinions quasi inédite sur le net. Ainsi, pour quel candidat voteront-ils le 30 juin prochain? Quelles sont leurs attentes et leurs craintes? Considèrent-ils les intérêts du Maroc avant de choisir? Éléments de réponse.
Lors des prochaines élections législatives françaises dont le premier tour se tiendra le dimanche 30 juin 2024, des centaines de milliers de ressortissants binationaux franco-marocains iront aux urnes. Une partie significative de cette communauté a déjà annoncé la couleur sur les réseaux sociaux, principalement X, où deux principaux camps s’affrontent depuis la dissolution de l’Assemblée nationale par le président français: d’un côté ceux qui éprouvent une inclination pour les idées de gauche, voire des fois d’extrême gauche, portées essentiellement par La France insoumise (LFI) et son chef de file Jean-Luc Mélenchon, et d’autres dont le cœur bat pour la coalition de droite formée par Les Républicains (LR) d’Éric Ciotti et le Rassemblement national (RN), de Jordan Bardella et Marine Le Pen.
En revanche, d’autres Franco-marocains prévoient de voter pour Renaissance, appuyant ainsi les politiques centristes et pro-européennes de la majorité présidentielle, tandis que d’autres vont tout simplement voter blanc, exprimant ainsi leur désaccord avec toutes les couleurs politiques disponibles ou leur insatisfaction envers les choix proposés.
Il votera LFI comme «moindre mal»
Contacté par nos soins, un Franco-marocain connu sous le pseudonyme de Doulkarnine sur X et qui souhaite rester anonyme pour «plusieurs raisons», explique en détails pourquoi il ira voter en faveur du nouveau Front populaire: LFI, Parti socialiste (PS), Écologistes et Parti communiste (PC).
«Je vote gauche, mais je ne suis pas un gauchiste qui milite pour toutes les idées de la gauche. Je fais partie de ceux qui choisissent le moindre mal et cela pour plusieurs raisons: depuis que je suis en France, c’est-à-dire il y a 24 ans, c’est la gauche qui milite pour les droits des minorités et en particulier les musulmans. La gauche va assurer la liberté de pratiquer notre religion car sur le plan pratique, il y a de plus en plus des obstacles à gérer un lieu de culte», avance-t-il.
Membre actif d’une association cultuelle en France, Doulkarnine dit vouloir «faire obstacle au Rassemblement national (RN) de Le Pen, parti raciste, islamophobe et qui va dans le futur appeler à relocaliser l’industrie française, donc celle qui se trouve au Maroc».
«Il va appeler aussi à l’arrêt de l’échange des produits agricoles marocains», redoute-t-il, ajoutant que «la politique de distribution des richesses n’est pas et ne va pas être acceptée si la droite passe au pouvoir car ce sont des riches pro-riches.»
Pour lui, «le RN a prouvé pendant les discussions de la loi immigration qu’il était dangereux pour la France et pour les musulmans en particulier».
Évoquant dans son développement la question du Sahara marocain, notre interlocuteur estime que «pour l’instant aucun avis officiel n’est prononcé de la part d’un parti politique en France pour ou contre l’intégrité territoriale du Maroc». Il avertit dans la même lignée que «si la gauche se prononce contre, je vote contre la gauche sans hésitation. La droite de Chirac et Sarkozy a gouverné pendant 19 ans sans aider le Maroc factuellement à avancer sur le conflit du Sahara marocain».
Force est de préciser, toutefois, qu’en ce qui concerne le soutien à la marocanité du Sahara, le leader des Républicains, Eric Ciotti, avait exprimé, en mai 2023 déjà, un soutien ferme et clair au nom de sa formation politique à la marocanité du Sahara et au plan marocain d’autonomie, contrairement à certains dirigeants de LFI dont la présidente du groupe à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, et la députée européenne, Manon Aubry, ainsi que d’autres cadres du parti, ont ouvertement et explicitement appuyé les séparatistes du Polisario à maintes reprises.
Les raisons de voter LR/RN d’un jeune Franco-marocain
Mohamed, la vingtaine, votera quant à lui LR/RN. Il place beaucoup d’espoir dans cette alliance pour moult raisons, défend hardiment son choix et attend du «concret» pour assimiler les diasporas au sens large. «Pour être totalement franc, mon vote est habituellement dévolu aux Républicains. Fidèle à une certaine idée de la droite, j’ai toujours soutenu ce parti. Mais, force est de constater que depuis la défaite cuisante de Pécresse aux présidentielles, Les Républicains se meurent. Pour revitaliser la droite, il me semble nécessaire de voter pour l’union des droites. C’est pourquoi je voterai pour le candidat LR-RN», pense-t-il d’emblée.
«Ensuite, en tant que Français, ce que j’attends de cette union des droites est une meilleure gestion des finances publiques, une sécurité renforcée et surtout le contrôle d’une immigration incontrôlée qui nuit à l’État, aux Français de souche qui ne reconnaissent plus leur pays, et aux diasporas qui subissent de plus en plus de discrimination due à ce que j’appelle l’amalgame migratoire», constate ce Franco-marocain qui vit en France depuis quatre ans. «En accueillant tout le monde sans discernement, la France condamne les immigrés à être perçus comme des nuisibles. L’absence de tri a pour conséquence de diluer la bonne immigration dans l’immigration majoritaire aujourd’hui: l’immigration sans plus-value», complète-t-il.
«En tant que Franco-marocain cette fois-ci, j’attends de cette union des droites un rappel à l’ordre de notre diaspora concernant la laïcité et une remise en ordre dans nos rangs, car nous figurons malheureusement dans le top 3 des nationalités les plus représentées dans le milieu carcéral français», déplore Mohamed, ajoutant qu’il est exaspéré «d’entendre parler de l’islam matin, midi et soir à la télévision. Mais, c’est ainsi parce qu’il y a un véritable problème de radicalité en France, ainsi qu’un non-respect des règles de la laïcité de la part d’une portion significative des musulmans de France. Bien que je puisse comprendre que l’islam et la laïcité ne font pas bon ménage, un Français non laïc est un mauvais Français. Il n’est pas possible de s’assimiler sans respecter ce prérequis».
Il conclut son point de vue en appelant l’ensemble de la droite française à davantage de limpidité sur la première cause nationale. «Enfin, en tant que Marocain, j’attends de cette union des droites une reconnaissance formelle de la marocanité du Sahara, comme promis par Éric Ciotti et le Rassemblement national, pour voir enfin renaître la relation franco-marocaine d’antan», somme-t-il.
Inquiet par le RN et LFI, il choisit Renaissance
Se plaçant aux antipodes des deux précédentes voies, Ghali, qui vit en France depuis une vingtaine d’années, votera de son côté pour Renaissance, le parti de la majorité présidentielle. La raison? il se dit «inquiet par le RN, un parti d’extrême droite où énormément de personnalités tiennent des propos racistes ou antisémites pour certains».
Il est également «très inquiet par le programme économique du nouveau Front populaire qui prévoit des hausses d’impôts massives, sachant que la France est la championne du monde des impôts».
Interrogé sur ce qu’il attend concrètement de ce parti concernant le développement des relations entre le Maroc et la France, Ghali note, de manière globale, que «la politique du président Macron est très bonne, mais sur la relation entre le Maroc et la France, je pense que c’est son gros point faible».
«Il aurait dû de manière simple et claire soutenir le plan d’autonomie du gouvernement marocain qui est, à mon sens, un plan pragmatique et qui prévoit de protéger les spécificités des minorités au Sahara tout en garantissant une souveraineté et une sécurité à la région. Je ne comprends pas pourquoi il n’a pas soutenu de manière beaucoup plus active ce plan et j’attends aussi qu’il change de braquet et se rapproche du Maroc qui a toujours été un allié de la France. Il pouvait très bien avoir de bonnes relations avec l’Algérie sans tourner le dos au Maroc», fait-il remarquer.
L’alternative du vote blanc
Tarik, célèbre pour ses spaces (conversations en direct) sur X qu’il organise via sa chaine Tarik Talk, votera purement et simplement blanc, un moyen de signifier qu’aucun parti ou candidat ne représente adéquatement les idées qu’il défend. «Je ne prévois pas de m’abstenir de voter, mais plutôt de voter blanc, ce qui, à mon avis, est une manière plus forte de manifester mon mécontentement face aux choix politiques offerts», nous confie-t-il.
«Lorsqu’on vote, il est important de tenir compte de sa situation sociale, professionnelle, fiscale, religieuse, etc. En tant que Franco-marocain et musulman, j’ai un devoir de loyauté envers mes deux pays. Voter pour la coalition de gauche me ferait sentir comme un traître envers le Maroc, car il est bien connu que la gauche est hostile à la monarchie marocaine et soutient le Polisario. C’est donc une option impensable», explique-t-il, soulignant dans la même veine que «voter pour l’extrême droite est tout aussi inconcevable, car ces partis sont ouvertement islamophobes et racistes».
Tarik pointe également le fait que pour de nombreux Franco-marocains, «le scrutin à venir est complexe, car il nous oblige à choisir entre deux mauvaises options. C’est pourquoi je voterai blanc par souci de cohérence et de loyauté».
«Sa Majesté feu Hassan II avait déjà raison en 1985, lorsqu’il disait que les Franco-marocains devaient s’abstenir, au risque de se retrouver face à des conflits d’intérêts et de loyauté. C’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui», constate-t-il. Pour lui, lorsque nous sommes confrontés uniquement à de mauvaises options, le «moins pire» des choix «est de ne pas choisir du tout».
«Cependant, si les Franco-marocains souhaitent vraiment participer à la vie politique française, ils devraient s’investir davantage en augmentant leur lobbying, en étant plus présents dans le monde associatif, voire en créant un parti politique pour avoir plus de poids et être pris en compte. Certaines diasporas sont plus politisées que la diaspora marocaine, et cela se remarque», recommande-t-il.
L’analyse du politologue M.B El Yattioui
Mohamed Badine El Yattioui, professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis (EAU) fait observer qu’il est frappant de voir les Franco-marocains être de plus en plus intéressés par les questions internationales. «Il y a des gens qui vont choisir de voter à gauche pour le Front populaire pour des questions liées à la Palestine, l’immigration et aux questions socio-économiques et de l’appauvrissement de la société française», et «on a d’autres personnes qui font le choix, en tant que Franco-marocains, de privilégier la marocanité du Sahara en considérant qu’ils sont marocains avant tout», explique ce spécialiste de science politique.
Cette deuxième catégorie veut, analyse-t-il, utiliser son vote comme un levier de pression. «De l’autre côté aussi, ces gens qui votent à droite ou parfois même à l’extrême droite le font pour des questions non seulement liées à la marocanité du Sahara, mais aussi pour des questions économiques et sociales avec une vision beaucoup plus libérale de l’économie, du fait très certainement de leur statut social et de leur travail», explicite celui qui préside également NejMaroc, un centre marocain de recherche pour la globalisation.
«Concernant le RN et Bardella, je ne pense pas qu’ils auraient une quelconque influence sur Emmanuel Macron parce que la politique étrangère comme la défense nationale font partie des domaines réservés du Président de la république, bien que cela ne soit pas écrit dans la constitution de 1958», répond El Yattioui quand on l’interroge sur le degré d’influence que pourrait exercer la droite sur le président Macron en cas d’accession à Matignon en juillet prochain, en particulier sur la question du Sahara marocain.
«C’est une pratique mise en place par le général de Gaulle, du fait de sa personnalité et de son appétence pour les questions diplomatiques, géopolitiques et de défense nationale. Ce principe, que l’on appelle doctrine Chaban-Delmas, est devenu une forme de coutume que tous les présidents ont continué de maintenir, notamment en période de cohabitation: Mitterrand-Chirac, Mitterrand-Balladur et Chirac-Jospin», fait savoir El Yattioui. «Très souvent dans la réalité, c’est un peu plus complexe, parce qu’il y a surtout pour le ministère des affaires étrangères un compromis sur la personnalité du titulaire de ce portefeuille, mais le président maintient sur les questions européennes et internationales une domination et une influence beaucoup plus importantes», ajoute-t-il dans le même sillage.
Cela dit, poursuit El Yattioui, même si Jordan Bardella est premier ministre entre 2024 et 2027, «cela n’influencera pas la politique étrangère de Macron en général, et encore moins la question de reconnaissance de la marocanité du Sahara par la France». «L’on voit que Macron a évolué légèrement de ce côté ces deux ou trois derniers mois, avec l’envoi de plusieurs ministres, la volonté d’investir économiquement et d’avoir un partenariat économique avec le Maroc incluant les provinces du Sud. Cela restera son domaine et sa prérogative», tranche-t-il.
Par Saad Bouzrou