La désignation de cet héritier d’un puissant réseau familial et politique suscite autant d’enthousiasme que d’interrogations. Ce technocrate est-il bien l’homme idéal pour relever les défis des relations maroco-ivoiriennes ?
Lorsqu’en janvier dernier, les Marocains et les Ivoiriens ont célébré ensemble la victoire des Éléphants lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2024, le message était clair : au-delà du sport, c’est une amitié sincère et historique qui unit les deux pays. « Cette communion illustre bien la profondeur de nos relations nourries par une proximité politique, culturelle et religieuse », analyse Ahmed Faouzi, lui-même ancien ambassadeur du Maroc en Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, cette entente exceptionnelle est incarnée par un nouveau visage : Othman El Ferdaous, nommé par Mohammed VI en octobre 2024 pour représenter le royaume à Abidjan.
À 45 ans, cet ancien ministre et entrepreneur est présenté comme l’archétype du diplomate 2.0. Fils d’Abdellah El Ferdaous, l’un des fondateurs de l’Union Constitutionnelle (UC), Othman El Ferdaous est né dans un univers où politique et réseaux jouent un rôle crucial.
Après une enfance à Casablanca et un baccalauréat obtenu au Lycée Lyautey, il poursuit ses études à Audencia Business School, à Nantes, puis à Sciences Po Paris où il obtient un master en journalisme. En 2016, il parachève sa formation avec un master exécutif en hautes études européennes à l’ENA.
Ce parcours mêlant économie, politique et médias illustre sa capacité à évoluer entre plusieurs univers. « Ce que le Maroc a toujours su faire en Côte d’Ivoire, c’est construire des ponts entre les mondes, et Othman El Ferdaous pourrait exceller dans cet art », confie Ahmed Faouzi.
Carrière hybride
La trajectoire professionnelle du nouvel ambassadeur reflète cette diversité.
Après un début de carrière dans le conseil chez PricewaterhouseCoopers, il rejoint Mena Media Consulting – la société de communication, de veille et d’influence fondée par le conseiller royal Fouad Ali El Himma -, où il se spécialise dans les stratégies médiatiques. En 2017, il entre au gouvernement en tant que secrétaire d’État chargé de l’Investissement, collaborant étroitement avec Moulay Hafid Elalamy – alors ministre de l’Industrie et du Commerce.
Pendant deux ans, il participe activement à la réforme de la charte de l’investissement et multiplie les échanges avec les acteurs économiques. Son passage au ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports (2020-2022) le fait connaître comme un fervent défenseur du patrimoine marocain.
Mais il ne s’arrête pas là : après son départ du gouvernement, il rejoint les équipes d’ABA
Technologies Maroc, un groupe spécialisé dans la transformation digitale et l’intelligence artificielle. Ce rôle confirme son image de technocrate moderne, ouvert sur les enjeux numériques et les nouvelles technologies.
Dans un contexte marqué par des tensions migratoires entre les deux pays –notamment la réintroduction des visas pour les Ivoiriens en 2024 –, El Ferdaous arrive à un poste où l’équilibre entre fermeté et dialogue sera clé. « La Côte d’Ivoire a toujours été un partenaire stratégique pour le Maroc, et cela dépasse la simple coopération économique », rappelle Ahmed Faouzi.
Durant la crise ivoirienne, le Maroc s’est illustré par son soutien indéfectible. « Alors que d’autres pays fermaient leurs missions et rappelaient leurs ressortissants, le Maroc maintenait ses vols, ses investissements et son engagement sur le terrain », souligne Faouzi. Cette fidélité a consolidé une image de partenaire sincère, que l’ambassadeur devra continuer de cultiver tout en s’attaquant aux nouveaux dossiers : diversification économique, transition énergétique avec des projets comme le gazoduc Nigeria-Maroc et pacification du Sahel.
Un diplomate 2.0
Si Othman El Ferdaous est perçu comme l’incarnation de la diplomatie marocaine moderne – jeune, technophile, ouvert – son parcours ne le protège pas des critiques. Certains voient en lui un homme privilégié, propulsé par son héritage familial. D’autres, plus pragmatiques, saluent son sens du relationnel et sa connaissance des enjeux contemporains.
Mais à Abidjan, il n’y aura pas de demi-mesure : ni son réseau, ni son CV, nimême son expertise en numérique ne feront la différence. Pour réussir, l’ambassadeur devra démontrer qu’il peut conjuguer innovation et pragmatisme, tout en s’inscrivant dans l’héritage de l’amitié solide entre les deux pays. Dans cet équilibre fragile, c’est sa capacité à convaincre – les Ivoiriens comme les Marocains – qui primera.
JeuneAfrique