Dans une analyse riche en mises en perspective, signée par Gordon G. Chang, expert de la Chine et considéré comme l’une des sommités mondiales en la matière, le magazine américain de référence «Newsweek» revient à son tour sur la portée du récent, et court, déplacement au Maroc du président chinois Xi Jinping. Pour l’hebdomadaire, «le Maroc offre un pont commercial dont Xi Jinping a plus que jamais besoin». Mais ce n’est pas tout. Lecture.
Les réactions, notamment occidentales, au récent déplacement du président chinois Xi Jinping au Maroc n’en finissent pas de fuser. La dernière en date est une analyse publiée dans le célèbre et influent magazine américain Newsweek, signée par Gordon G. Chang, conseiller juridique de stature internationale, conférencier dans les plus prestigieuses universités des États-Unis, ancien membre du Conseil d’administration de Cornell pour deux mandats, et expert reconnu de la Chine, dont il est au demeurant un fervent critique. À son actif, un bon nombre d’ouvrages dédiés, dont le plus récent est «Plan Red: China’s Project to Destroy America», qui dépasse le simple titre pour s’imposer comme un véritable programme. Qu’un auteur, chroniqueur et expert de cette envergure consacre une analyse à ce qui semblait être une simple escale en dit long sur la portée de cette visite.
On s’en souvient, le 21 novembre, Xi Jinping a fait une «escale technique» à Casablanca, à son retour en Chine après sa tournée triomphale en Amérique du Sud et sa participation au Brésil à un sommet du G20. «Le leader chinois a eu droit au tapis rouge et à un accueil officiel par le prince héritier Moulay El Hassan, 21 ans, ainsi que le chef du gouvernement», décrit Gordon G. Chang. Histoire de mettre le cadre. Et de poser d’emblée la question: «Pourquoi Xi Jinping a-t-il choisi le Maroc pour sa courte escale imprévue?». S’il est loin d’être le seul aux États-Unis, en Europe et chez le voisin algérien, traditionnellement l’allié de Pékin dans la région, à s’interroger, les réponses apportées ne manquent pas de profondeur et de pertinence.
«Le Maroc est au monde ce que Hong Kong était autrefois à la Chine»
Il y a le visible, soit le positionnement géostratégique du Maroc, à cheval entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Afrique. «Le Royaume offre à la Chine, qui dépend du commerce, une porte dérobée vers les principaux marchés». À court terme, les ambitions chinoises se concentrent sur le commerce. Le Maroc ressort ainsi comme une destination stratégique pour les investissements chinois. «Il a un accord de libre-échange bilatéral avec les États-Unis depuis 2006, le seul ALE entre l’Amérique et un pays africain», remarque Gordon G. Chang, relatant des confidences qui lui ont été faites ce mois de décembre par Thomas Riley, ancien ambassadeur américain à Rabat. Le Maroc est également lié à l’Union européenne par un accord d’association et fait partie de la Zone de libre-échange continentale africaine, «qui comprend 54 États africains». À l’exclusion bien entendu de la pseudo-Rasd.
Citant cette fois Jonathan Bass, qui suit de près les affaires nord-africaines depuis son poste chez Argent LNG, l’analyse précise que «le Maroc offre un pont commercial dont Xi Jinping a plus que jamais besoin». «Du point de vue de Pékin, le Maroc est au monde ce que Hong Kong était autrefois à la Chine: un accès à un marché vaste et autrement inaccessible», lit-on encore. Le besoin de la Chine est d’autant plus pressant que les grandes puissances occidentales ne permettront pas, comme ils l’ont fait dans les deux premières décennies de ce siècle, une nouvelle vague massive d’exportations chinoises, un «China Shock 2.0» comme l’appelle l’administration Biden.
Des investissements massifs, des secteurs de pointe
Mais il y a aussi des ambitions plus grandes de la Chine: contrôler les flux commerciaux et maritimes mondiaux, et la domination de la Méditerranée. Cela passe par le Maroc qui «pourra fermer l’extrémité occidentale de la mer Méditerranée». L’initiative Belt & Road de Xi Jinping comprend «clairement», ce plan, indique l’analyste. «Le détroit (de Gibraltar, NDLR), avec le Maroc à son extrémité sud, ne fait que huit miles (soit 14 kilomètres, NDLR) de large. Amener le gouvernement de Rabat dans l’orbite de la Chine figure certainement à l’ordre du jour à long terme de Xi», explique-t-il.
Pour tirer parti du statut commercial spécial de Rabat, la Chine construit des installations de fabrication sur le sol marocain. «En 2024 seulement, cinq entreprises chinoises distinctes se sont engagées à investir plus de 4 milliards de dollars pour construire des usines produisant des batteries et des composants pour véhicules électriques», souligne Thomas Riley. Par exemple, Gotion High-tech prévoit de commencer la production au troisième trimestre 2026 dans une «gigafactory» de 1,3 milliard de dollars au Maroc, a annoncé l’entreprise en juin. L’installation fabriquera des batteries, des cathodes et des anodes. La plupart de la production, a indiqué Gotion, sera exportée.
Le mois précédent, deux autres fabricants chinois de batteries, Hailiang et Shinzoom, ont annoncé l’ouverture d’usines dans le pays nord-africain. En mars, le Maroc a approuvé les plans de construction d’une usine par BTR New Material Group, un autre fabricant chinois de batteries électriques. «Ce sont des manœuvres claires pour éviter les droits de douane américains et européens», explique l’ancien ambassadeur des États-Unis.
Quand la géopolitique rencontre le commerce
Sauf que la partie est loin d’être gagnée d’avance. Aux États-Unis comme en Europe, la riposte s’organise. Le président élu Donald Trump, par exemple, a annoncé qu’il imposerait des droits de douane généralisés d’au moins 60% sur les produits chinois, ainsi qu’une taxe supplémentaire de 10% pour punir la Chine pour ses ventes de Fentanyl, une drogue puissante qui fait des ravages aux États-Unis. «L’Europe suit le mouvement avec des restrictions commerciales, au même titre que le dernier espoir de Pékin, ce que les responsables chinois appellent le Sud global».
En face, la première administration Trump a priorisé ses relations avec le Maroc, reconnaissant au passage la marocanité du Sahara et convenant d’y établir un consulat. L’administration Biden n’a pas dérogé à cette nouvelle règle, mais Trump, au cours de son second mandat, pourrait reprendre là où il s’était arrêté. Cela sera «particulièrement important», car la Chine a jusqu’ici ménagé une Algérie particulièrement «belliqueuse» et ouvertement hostile au Maroc et n’a pas encore franchi le pas s’agissant du Sahara.
La position pourrait néanmoins changer et Dakhla risque de cristalliser à bien des égards cette guerre commerciale à venir entre les États-Unis et la Chine. C’est là où le Maroc construit un port atlantique, d’un coût de 1,2 milliard de dollars, «qui sera la porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest, évitant l’instabilité croissante des régions voisines». Et c’est là où la géopolitique rencontre le commerce. Alors que l’Atlantique est une ligne rouge pour Washington (dans «OTAN», il faut bien lire Organisation du traité de l’Atlantique), la stratégie de la Chine a toujours été d’utiliser les ports pour atteindre et relier ses différents marchés. «L’Amérique peut faire de même à Dakhla. Washington s’opposerait à ce que Pékin puisse fermer la Méditerranée ou dominer les régions voisines de l’Atlantique sud».
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