Les IDE ont enregistré en 2023 leur niveau le plus bas depuis 19 ans. Et les derniers chiffres du Haut-Commissariat au plan sonnent l’alarme en attirant l’attention sur la gravité de la situation économique au Maroc et, surtout, l’incapacité de l’exécutif à honorer ses engagements d’atteindre une croissance moyenne annuelle de 4% durant le quinquennat 2022-2026. Le gouvernement Akhannouch a-t-il perdu la bataille de la croissance?
Alors que le chômage atteint des niveaux historiquement élevés au Maroc (plus de 13%), la dernière note de conjoncture du Haut-Commissariat au plan (HCP) est venue montrer que rien n’a été fait pour arranger les choses, faisant état d’un recul manifeste de la croissance au premier trimestre 2024, limitée à seulement 2,5% contre 3,9% une année auparavant.
Le constat est d’autant plus inquiétant que cette contreperformance touche essentiellement les activités non agricoles dont la valeur ajoutée a vu son rythme ralentir, ramené à 3,2% au premier trimestre 2024, contre 3,9% il y a un an. Ce qui met à rude épreuve le leitmotiv de l’argument du gouvernement lié à «six années successives de sécheresse», surtout si l’on tient compte du repli net des secteurs secondaire et tertiaire.
Autre constat inquiétant, la chute spectaculaire des Investissements directs étrangers (IDE) qui ont reculé à 1,09 milliard de dollars en 2023, atteignant leur niveau le plus bas depuis 19 ans, selon le dernier rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
«Bien que le gouvernement s’efforce de trouver un équilibre entre une politique monétaire visant à relancer l’investissement privé et la consommation, et une politique budgétaire visant à ramener l’inflation de 3,4% en 2024 à 2% à partir de 2025, tout en plafonnant le déficit budgétaire à moins de 4%, ces efforts semblent insuffisants», estime l’économiste Abdelghani Youmni.
Et d’ajouter: «Le Maroc reste en effet dépendant d’une croissance économique basée à 40% sur le secteur agricole, à 20% sur les échanges avec l’Union européenne, à 26% sur les services marchands, et à seulement 12% sur le secteur industriel.»
Cependant, poursuit l’économiste Abdelghani Youmni, les solutions dépassent largement le cadre macroéconomique, domaine dans lequel le Maroc est reconnu pour sa résilience et ses performances. «Entre 2025 et 2050, le Maroc achèvera sa transition démographique avec une diminution significative de son dividende jeunesse. L’émergence économique et industrielle du pays est donc une urgence. Il est nécessaire de réformer le cadre micro-économique: redéfinir la vocation des entreprises, les besoins des consommateurs et la fonction économique des territoires. Il est impératif de cartographier les entreprises marocaines, d’analyser les comportements de consommation des Marocains et de construire une matrice SWOT des régions pour en faire des acteurs clés de l’emploi, de l’industrialisation et de la création de valeur ajoutée», renchérit la même source.
«Il faut laisser les gens souffler»
Dans une récente conversation avec Le360, le Haut-commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, a estimé que la politique «sociale» du gouvernement serait favorable à la demande, alors que le problème se situe, à ses yeux, au niveau de l’offre, appelant à une refonte complète du système de production. «Il faut pousser notre agriculture à produire le maximum pour renforcer la souveraineté alimentaire. Il faut miser sur les exploitations familiales qui intègrent les céréales et l’élevage, et qui produisent des rendements plus élevés que dans les grandes exploitations, notamment dans les zones bourg», a suggéré Ahmed Lahlimi.
Dans cet échange avec Le360, le Haut-commissaire au plan a pointé les effets contradictoires des politiques budgétaire et monétaire menées séparément par le gouvernement et la Banque centrale dans un contexte particulier, dans lequel «les gens sont épuisés psychologiquement par les séquelles de la crise sanitaire».
«D’un côté, on essaie de faire une politique qui permet à la société et à l’économie de reprendre du souffle. De l’autre, on augmente les obstacles pour vous faire financer», a-t-il ajouté, faisant ainsi allusion aux hausses successives du taux directeur de Bank Al-Maghrib en 2022 et 2023.
«Il faut laisser les gens souffler. Au lieu de brider la croissance par une politique monétaire rigoureuse, un peu excessive à mon avis, on aurait pu lisser la hausse du taux directeur sur une longue période… Il vaut mieux une croissance, quitte à avoir une inflation, qui permet aux gens d’avoir de l’emploi, plutôt que d’être dans une situation dans laquelle l’inflation cohabite avec le chômage», a poursuivi Ahmed Lahlimi.
On pensait que l’économie était le point fort des membres de l’équipe Aziz Akhannouch, venus pour la plupart d’entre eux du monde du business à la conquête des arcanes du pouvoir. Au rythme de progression actuel des agrégats macroéconomiques, les observateurs se demandent comment le gouvernement va-t-il pouvoir honorer ses promesses électorales, lui qui s’était engagé à porter la croissance à une moyenne de 4% entre 2022 et 2026? Or, dans le meilleur des cas, celle-ci a atteint 3,4% en 2023, contre seulement 1,5% en 2022. Autrement dit, l’exécutif aura besoin d’une croissance de 6 à 7% chaque année durant la seconde moitié de son mandat pour honorer son engagement. Il faut croire aux miracles pour penser que les recettes de McKinsey, sur lesquelles le gouvernement porte ses espoirs, pourraient inverser la donne et renouer avec une croissance durable.
Sans parler des Investissements directs étrangers (IDE) qui ont été en 2023 plus bas que lors des deux mandats des gouvernements dirigés par les islamistes. Quand on sait que certains ministres du gouvernement Akhannouch riaient sous cape de «l’incapacité» des cadres du PJD à pouvoir tenir un discours structuré à des investisseurs étrangers, le minimum syndical qu’on attend d’eux c’est de faire mieux que leurs prédécesseurs.
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