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22 novembre 2024
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Dakhla Atlantique, le futur Tanger-Med du Sahara

Au-delà de ses objectifs en termes de développement des provinces du Sud, le mégaprojet du port Dakhla Atlantique revêt des enjeux économiques et géostratégiques qui dépassent le spectre national. 
En lançant les travaux de construction en eaux profondes du Port Dakhla Atlantique, le Maroc vient de s’engager dans un projet aux dimensions pharaoniques, à l’image de l’inauguration, au début des années 2000, du port Tanger Med. A Dakhla, le Royaume compte ériger un nouveau port géant, aux capacités rivalisant avec les grands ports mondiaux, avec un investissement de 12,4 milliards de dirhams.
Le chantier confié, à la suite d’un appel d’offres international, au tandem marocain SGTM-Somagec nécessitera au moins huit ans de travaux et sera opérationnel à l’horizon 2030.
Ce port, qui servira à la fois à la pêche et au commerce de marchandises, sera doté d’une conception évolutive et extensible. Il sera également adossé à une zone industrialo-logistique de 1.650 hectares.
Proposé en 2015 par le CESE dans son modèle de développement des provinces du Sud, rapport commandé par le Roi, ce port permettra tout d’abord de dynamiser de manière très forte l’activité économique de la région de Dakhla et de toutes les provinces en question. Mais au-delà de cet enjeu de développement régional, il en revêt d’autres encore plus grands. Aussi bien sur le plan économique que sur le plan géostratégique.
Les dimensions géostratégiques de Dakhla Atlantique
Président de l’Institut marocain de l’intelligence stratégique (IMIS), Abdelmalek Alaoui y voit un projet à dimension africaine, avec des enjeux stratégiques pour tout le continent. Sa réflexion autour du projet, Abdelmalek Alaoui la structure en quatre dimensions :
Première dimension qui dépasse les enjeux de développement nationaux : la diversification des points d’arrivée vers l’Afrique.
« Les principaux points d’entrée maritimes vers le continent sont situés sur le Golfe de Guinée, où il y a un engorgement des ports de Lomé et de Cotonou, principaux ports d’ouverture vers le golfe, surtout que le port de Cotonou vit, depuis un an, une crise profonde sur fond de révision de barrières tarifaires qui bloquent l’accès vers le Nigéria », explique le président de l’IMIS. « Quand on analyse ce contexte régional, le Maroc est en train de faire une complémentarité terre-mer à partir de Dakhla. Sachant que la jonction route a été définitivement sécurisée à travers le passage de Guerguerate », ajoute-t-il.
En plus de la diversification des points d’entrée concentrés aujourd’hui sur le golfe de Guinée, le port de Dakhla permettra, selon Abdelmalek Alaoui, de baisser de manière sensible les coûts du fret vers le continent.
« Le coût du fret vers le golfe de Guinée est extrêmement élevé. Envoyer un conteneur, depuis l’Europe au port de Cotonou, coûte trois fois plus cher que de l’envoyer à Shenzhen en Chine. Parce qu’il y a des situations de monopole des opérateurs portuaires, notamment français, alliées à l’étroitesse du marché et à la faible valeur ajoutée des produits. Ces deux ports (Lomé et Cotonou) sont, par exemple, les premiers ports d’Afrique en matière de véhicules d’occasion européens. Le projet Dakhla Atlantique fait donc sens, aussi bien pour diversifier les points d’entrée vers le continent, au-delà du golfe de Guinée, que pour baisser les coûts logistiques vers le continent », précise le consultant.
La deuxième dimension géostratégique à prendre en compte, d’après lui, s’inscrit dans le prolongement de la décision américaine de reconnaître la marocanité du Sahara.
« Avec cette décision, il n’y a plus aucune entrave juridique, notamment pour les bateaux qui battent pavillon américain pour pouvoir accoster dans les provinces du Sud. Car il n’y a plus de risque de recours par les juridictions américaines sur les produits qui peuvent arriver de ces provinces. Même si la position de l’Union européenne n’est pas encore très claire sur ce sujet, la décision américaine reste la plus importante. Car là où il y a le plus fort risque d’amendes, c’est dans les juridictions d’extraterritorialité de New York », signale Abdelmalek Alaoui.
La reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara est également une sorte de « blanc-seing donné à l’investissement dans les provinces du Sud », ajoute-t-il.
Troisième dimension soulevée par Abdelmalek Alaoui, ce qu’il appelle « un élément d’opportunité » : « Dakhla a une centaine d’hôtels en construction, elle commence à avoir une offre robuste en matière d’éducation, de lieux de vie, de tourisme… Elle va être en capacité d’accueillir des talents qui vont venir travailler dans les zones d’activités industrielles accolées au port. La composante soft est importante. Et tout cela est cohérent avec le nouveau dessein territorial du Maroc et le discours de Sa Majesté de fin 2018 qui consacre Agadir, comme étant la nouvelle capitale du centre. On a un glissement du centre de gravité du Maroc vers le sud pour réaffirmer l’identité du pays et son rôle de moteur des partenariats Sud-Sud. Ce qui nécessite logiquement la présence d’un grand port dans la région », explique le consultant.
Dakhla, le « Jebel Ali » marocain
Cette composante soft, le Maroc y travaille assidûment en effet. Avec notamment le réaménagement de l’actuel port ilôt de Dakhla en port de plaisance. 
Ce port îlot est aujourd’hui la seule porte d’entrée maritime de la région Dakhla Oued Eddahab. Il abrite les activités de pêche, de commerce (hydrocarbures et poissons congelés notamment) et autres activités connexes. Son plus grand atout, c’est son emplacement : l’immense baie de 400 km2 de Dakhla. Un site qui sera revalorisé pour devenir un pôle touristique de premier plan.
Le port actuel va évoluer vers un port de plaisance et de sports nautiques, à passagers (lignes maritimes avec les îles Canaries) et, éventuellement, de croisière grâce à son atout majeur de liaison directe mer/désert, avec un aménagement pertinent de son interface avec la ville, comme le détaille l’Agence nationale des ports (ANP) dans un appel d’offres, lancé en février 2021, pour le choix du prestataire qui prendra en charge les premières études pour la réalisation de ce chantier.
La requalification ne portera pas que sur le port, mais sur tout le domaine public alentour. Un domaine qui comprend actuellement une zone d’activité portuaire de 270 ha qui pourrait être affectée, souligne l’ANP dans son appel d’offres, à des activités touristiques, d’animation et de loisirs.
Ces deux chantiers, lancés en parallèle, indiquent clairement l’intention de l’État : faire de Dakhla un hub maritime, économique et industriel, mais aussi une destination touristique, un lieu de vie agréable pour la population qui y habite et celle qui sera appelée à y résider, pour accompagner le développement économique et industriel de la région.
« La vocation de Dakhla est multimodale, c’est à la fois une ville touristique et une ville qui a un énorme potentiel industriel avec ce projet Dakhla Atlantique. Ça va être ce que Jebel Ali est à Dubaï, la capitale de l’émirat qui doit son développement à son port artificiel, considéré comme le plus grand du monde et le plus important au Moyen-Orient », résume Abdelmalek Alaoui dans un parallèle qui fait sens.
Autre dimension stratégique, et pas des moindres : la dimension écologique face aux enjeux mondiaux de décarbonation industrielle.
Pour le président de l’IMIS, Dakhla a tous les atouts pour être une zone industrielle eco-friendly : « Dakhla bénéficie du vent et d’une forte exposition au soleil. Il y a la possibilité d’installer de grandes capacités de production d’énergie propre. Les investissements industriels accolés au port peuvent être des investissements décarbonés, et exportables sans taxe carbone vers l’UE notamment », signale notre consultant.
Ce projet ainsi que celui du port îlot s’inscrivent, pour rappel, dans le cadre du nouveau modèle de développement des provinces du Sud, lancé en 2015 par le Roi. Un modèle qui vise à faire des régions du Sud des pôles de compétitivité économique et un trait d’union avec le prolongement africain du Maroc. Dakhla a été identifiée dans ce modèle, comme un des pôles de compétitivité du Sud, au vu de son potentiel maritime, agricole, industriel, touristique et énergétique.
La région dispose, en effet, d’une richesse halieutique permettant de pêcher jusqu’à 7 millions de tonnes de pélagiques. Un potentiel qui devrait être valorisé dans des unités industrielles tournées vers l’export, accolées à Dakhla Atlantique.
L’environnement de la région favorise aussi la culture sous serre de primeurs, destinés également à l’export (Europe, USA…). Un flux qui passe aujourd’hui par le port d’Agadir et qui sera, dans le futur, traité dans le port Atlantique de Dakhla. La région produit déjà 36 000 tonnes de tomates cerises et de melons, cultivés dans des exploitations de plus de 450 ha.
Le potentiel touristique est également considérable, notamment dans la baie de Dakhla et son arrière-pays.
Les deux projets maritimes, qui vont de pair, devront, comme ce qui a été précédemment réalisé à Tanger, aider la région à réaliser ce potentiel logistique, maritime, industriel, agricole et touristique. Et étendre ces activités à des domaines jusque-là insoupçonnables grâce à la zone de libre échange continentale (Zlecaf), entrée en vigueur cette année.
Avec la Zlecaf, Dakhla pourra attirer des IDE du monde entier
Venue corriger une aberration africaine majeure, celle de la faiblesse des échanges entre pays du même continent, qui sont aujourd’hui les plus faibles au niveau mondial, la Zlecaf présente une opportunité unique pour faire du port Dakhla Atlantique un véritable hub commercial et industriel pour le continent. Un hub à même d’attirer aussi bien des investisseurs nationaux qu’internationaux qui ciblent un marché africain, déjà, florissant et qui le sera davantage dans les prochaines années.
Les échanges intra-africains ne représentent aujourd’hui que 16%. Un chiffre dérisoire comparé au commerce intra-européen (67%), entre pays asiatiques (61%) ou entre les pays d’Amérique du Nord (50%). Une faiblesse due essentiellement aux barrières tarifaires et non tarifaires entre les pays du continent, ainsi qu’à la faiblesse des infrastructures permettant une fluidité des échanges.
L’exemple du Maroc est très parlant à cet égard. Alors que le Royaume est particulièrement actif sur le continent, à travers ses entreprises, ses banques, ses investissements directs en Afrique de l’Ouest, mais aussi grâce à une industrialisation relativement évoluée par rapport à la quasi-majorité des pays du continent, ses exportations vers les pays africains ne représentent que 3,2% du total de ses exportations vers le reste du monde. Idem au niveau des importations, où la part des achats venant d’Afrique est, à peine, de 2,5%, comme le signalait un récent avis du CESE sur l’intégration africaine.
La création de cette zone vise à corriger cette donne, permettant ainsi d’augmenter le niveau de commerce intra-africain de près de 25% à moyen terme, pour atteindre 52% à long terme.
Dès la levée des barrières douanières, les entreprises marocaines auront à terme accès à un marché de 1,2 milliard d’individus, représentant un PIB total de 2.500 milliards de dollars. Dans une étude présentée en 2018 à l’occasion du Forum Afrique Développement, Attijariwafa bank a fait une simulation assez intéressante à ce sujet. Partant d’un scénario de suppression à court terme de 50% des mesures non tarifaires et d’une réduction de 30% des coûts de transaction, l’étude estime que le commerce intra-africain devrait augmenter de 52% d’ici 2022, par rapport à un scénario de référence sans Zlecaf. Les exportations de produits industriels devraient enregistrer la hausse la plus élevée, selon la même étude.
La part des échanges intra-africains pourrait dépasser alors 20% du commerce extérieur total, en moyenne pour l’ensemble des pays africains, soit un niveau significativement au-dessus de la part actuelle des exportations vers la Chine et les États-Unis, mais sensiblement inférieur à celle de l’Union européenne (31% en 2017), prévoit l’étude présentée par Attijariwafa bank.
La construction du Port Dakhla Atlantique qui coïncide – et ce n’est pas un hasard – avec l’entrée en vigueur de cette zone de libre échange fait ainsi sens. Ce port, adossé à une zone industrielle, pouvant devenir un hub industriel, de premier plan, pour les entrepreneurs marocains désireux d’exporter vers l’Afrique à moindre coût : en bénéficiant de la levée des barrières tarifaires, mais aussi de la proximité géographique (terre-mer) qui réduira sensiblement les coûts logistiques.
Et ce qui s’applique aux exportateurs marocains peut s’appliquer également aux exportateurs étrangers qui ciblent le continent. Et ils sont très nombreux.
La Zlecaf peut ainsi accélérer le flux des IDE vers le continent. Un industriel chinois, japonais, américain ou européen verra plus d’intérêt à venir s’installer en Afrique si le continent devient un espace ouvert au commerce. Cela lui donnera accès à des matières premières à faible coût, à une ressource humaine jeune et abondante et à un marché de plus d’un milliard d’habitants, dont la population va doubler d’ici 2050 selon les projections démographiques.
Et ce flux va profiter essentiellement aux pays qui offrent des infrastructures logistiques modernes permettant une fluidité des échanges. Ce fut le cas pour Tanger Med, devenu en quelques années, un centre mondial de l’industrie automobile, grâce à son infrastructure portuaire ; mais aussi aux différents accords de libre échange signés par le Maroc, qui permettent aux producteurs installés à Tanger d’exporter vers toutes les destinations du monde (ou presque), sans avoir à subir des barrières tarifaires.
Le Maroc, qui reçoit déjà un flux massif d’IDE, l’un des plus importants d’Afrique, est en cela bien positionné pour en capter de nouveaux qui émergeront avec la Zlecaf. La zone de libre échange est juridiquement entrée en vigueur ce 1er janvier 2021, mais ne devra être concrétisée qu’après la fin des négociations autour des termes techniques et réglementaires qui l’encadreront (rythme de levée des droits de douane, règles d’origines…). Des négociations qui devraient aboutir rapidement, comme nous le confiait Abdou Diop, président de la commission Afrique de la CGEM, mais à un rythme progressif concernant la baisse des tarifs douaniers pour arriver, au terme de quelques années, à une levée totale des barrières douanières. Le temps que Dakhla Atlantique sorte de terre…

médias 24

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